Le Forum sur l’avenir de la presse en Guinée s’ouvre ce lundi à Conakry, pour trois jours de discussions en présence de représentants d’organes de régulation venus du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Maroc. Portée par la Haute Autorité de la Communication (HAC), cette initiative arrive dans un contexte particulièrement sombre pour la presse guinéenne, confrontée à une crise systémique profonde.
Un paysage médiatique asphyxié : répression et gouvernance défaillante
Depuis près d’un an, les grands médias du pays sont fermés. Des journalistes sont suspendus, harcelés ou contraints à l’exil. Le cas le plus symbolique reste la disparition, depuis plus de cinq mois, du journaliste et directeur de publication du site d’information www.lerevelateur224.com, Habib Marouane Camara, sans qu’aucune explication convaincante n’ait été fournie par les autorités. Ce climat délétère, marqué par la peur et l’autocensure, a fait chuter la Guinée de 25 places dans le classement 2025 de Reporters Sans Frontières (RSF), révélant un net recul de la liberté de la presse et de l’État de droit.
Derrière le vernis d’une régulation, c’est une répression larvée qui s’exerce. La HAC, censée garantir le pluralisme et la liberté d’expression, peine à jouer son rôle, engluée dans une gouvernance politisée et déséquilibrée : seulement 5 de ses 13 membres sont désignés par les professionnels des médias, contre une majorité nommée par des autorités politiques.
Un système fragilisé de toutes parts
La presse guinéenne souffre aussi d’un déficit alarmant de professionnalisation. Les écoles de journalisme dispensent encore des programmes obsolètes, loin des réalités du terrain et des enjeux contemporains. Faute de formation continue, les professionnels sont peu préparés aux défis actuels.
À cela s’ajoutent la précarité économique des médias, l’affaiblissement des structures de représentation, et un cadre juridique dépassé — la loi sur la liberté de la presse date de 2010. Le vide ainsi créé favorise la désinformation et discrédite le rôle du journalisme dans la société.
Quant au Fonds d’Appui au Développement des Médias (FADEM), lancé en novembre 2022, il reste inopérationnel. Faute de financement ? De leadership ? Ce levier stratégique est devenu une coquille vide, à rebours des ambitions initiales.
Des urgences vitales et des chantiers structurels
Le Forum qui s’ouvre aujourd’hui ne doit pas être un alibi politique. Il doit être un électrochoc. Les attentes sont claires, les priorités, urgentes :
• Réouverture immédiate et sans condition des médias fermés ;
• Libération du journaliste Habib Marouane Camara ;
• Mise en place de mécanismes de protection et d’alerte pour les journalistes menacés ;
• Réforme en profondeur de la HAC, avec une nouvelle composition fondée sur la parité entre journalistes, société civile et État, un mandat non renouvelable, et une clarification de son rôle de médiateur – non de censeur.
Par ailleurs, il est important de :
• Créer un centre national indépendant de formation continue, en lien avec les universités, ONG, médias et institutions locales ;
• Intégrer aux cursus des modules sur l’IA générative, le fact-checking, l’OSINT, la sécurité numérique, le datajournalisme, le journalisme de solutions, etc. ;
• Réviser la loi sur la liberté de la presse pour inclure les nouveaux formats numériques (web radios et télés, etc.), les droits numériques, la régulation des blogs et sites d’information, ainsi que des garde-fous contre les poursuites abusives.
Le journalisme guinéen est à la croisée des chemins. Sa survie repose autant sur la défense des libertés fondamentales que sur la réinvention de modèles durables, crédibles, et ancrés dans les réalités locales. Ce Forum doit devenir un véritable espace de refondation collective, où journalistes, citoyens, régulateurs et partenaires peuvent faire converger leurs voix vers des engagements concrets.
Des solutions existent. Elles demandent de l’ouverture, du courage, de la volonté et une vision.
Facely Konaté, journaliste, spécialiste en management des médias, défenseur de la liberté de la presse