Le message de l’ambassadeur du Rwanda en Guinée, appelant à la construction d’un mémorial pour les victimes du génocide de 1994 à Conakry, résonne avec une puissance symbolique particulière. Il ne s’agit pas simplement d’un hommage à des morts lointains, mais d’un rappel profond aux vivants : celui du devoir de mémoire, du respect des morts, et de l’assomption pleine de son histoire.
Construire un tel mémorial en Guinée, terre d’accueil et de solidarité panafricaine, a tout son sens. Mais ce message prend un relief d’autant plus fort lorsqu’il est prononcé sur une terre où, elle aussi, les régimes successifs ont laissé derrière eux leur cortège de douleurs, de disparitions, de répressions et de victimes anonymes. En Guinée, chaque pouvoir a eu son lot de morts, souvent oubliés, parfois effacés, jamais vraiment honorés.
Il y a là un paradoxe douloureux : rendre hommage aux victimes d’ailleurs alors que les nôtres attendent toujours justice, reconnaissance, et réparation. Ce n’est pas une contradiction dans l’intention, mais un manquement grave dans la construction d’une mémoire nationale partagée. Une mémoire qui, pour être sincère, doit commencer par soi-même.
Et pourtant, le message de l’ambassadeur rwandais pourrait bien être une étincelle salutaire. Il nous ramène, nous interpelle, et surtout, il nous tend un miroir : assumez votre histoire, honorez vos morts, bâtissez votre mémoire nationale si vous voulez construire une paix durable. Ce message n’est pas seulement un appel à bâtir un mur, une stèle, ou une plaque. C’est une invitation à bâtir un rapport plus honnête et plus responsable avec notre propre passé.
Assumer notre histoire, c’est refuser l’oubli. C’est faire en sorte que les blessures ne deviennent pas des silences honteux. C’est éviter que les erreurs d’hier ne deviennent les habitudes de demain.
Nous devons avoir le courage d’ériger, nous aussi, des mémoriaux pour les victimes de nos tragédies nationales, qu’il s’agisse de Camp Boiro, des événements de 2007 ou du 28 septembre 2009, entre autres. Non pas pour entretenir la douleur, mais pour graver dans la conscience collective une vérité indispensable : celle qui dit que chaque vie perdue injustement mérite d’être nommée, pleurée et honorée.
Oui, construisons un mémorial pour les victimes du génocide rwandais. Mais que cela soit aussi le point de départ d’un réveil national : un peuple qui ne se souvient pas de ses morts, court le risque de reproduire les conditions de leur disparition.
Puissent nos pierres parler pour ceux que nous avons tus trop longtemps.
Fodé BALDE, Politologue