Les rideaux sont tombés le mercredi 21 mai 2025 sur le “Forum sur l’avenir de la presse en Guinée”, organisé par la Haute Autorité de la Communication (HAC). Trois jours de discussions ont débouché sur une série de recommandations censées baliser l’avenir du journalisme guinéen.
Mais à la lecture des conclusions, on est en droit de se demander si ce Forum a réellement pris la mesure de la gravité de la situation. Les recommandations paraissent timides, parfois déconnectées des réalités du terrain. Pour ne pas dire qu’on a fourni peu d’efforts pour diagnostiquer et soigner un secteur profondément malade, qui a pourtant besoin de solutions urgentes, audacieuses et adaptées.
La plupart des recommandations insistent sur les devoirs des journalistes : respect de l’éthique, de la déontologie, rigueur professionnelle… Très bien. Mais qu’en est-il de leurs droits fondamentaux ? Liberté d’expression, accès à l’information publique, sécurité des professionnels des médias… Ces aspects essentiels ont été relégués au second plan, alors qu’ils sont au cœur de la crise actuelle.
Des convergences à saluer, mais sans consistance
Il faut tout de même saluer la prise en compte de certaines propositions formulées dans notre tribune de lundi, notamment :
• l’adaptation des programmes d’enseignement dans les écoles de journalisme ;
• la révision des textes juridiques pour les adapter au contexte actuel ;
• la mise en place d’un mécanisme d’autorégulation pour renforcer l’éthique professionnelle ;
• le renforcement des capacités des journalistes (même si aucune proposition concrète n’a été formulée) ;
• l’accompagnement vers une convention collective.
Sur cette dernière question, je reste catégorique : une convention collective sans modèle économique viable et sans transition numérique est une illusion. Elle ne tiendra pas si les médias, financièrement asphyxiés, ne peuvent l’appliquer.
Des recommandations inquiétantes, voire absurdes
Certaines recommandations frisent l’absurde. Celle, par exemple, qui veut obliger les médias à se constituer exclusivement en entreprises commerciales. Ce modèle ne correspond ni aux réalités du marché guinéen ni aux exigences de pluralisme et d’indépendance.
Il faut explorer d’autres formes juridiques, plus adaptées à nos contextes : fondations, coopératives, médias à but non lucratif… Ces structures permettent de sanctuariser l’indépendance éditoriale et d’atténuer l’influence politique ou financière sur les rédactions.
Plus inquiétante encore est la proposition d’octroi de subventions spéciales aux médias privés en période électorale, censées les aider à accomplir leur mission. Mais que deviennent alors l’indépendance éditoriale et la neutralité ? Là encore, au lieu d’instaurer une dépendance ponctuelle et malsaine, il aurait mieux valu proposer des mécanismes structurels de soutien, via le Fonds d’appui au développement des médias (FADEM), doté de critères transparents et d’une gouvernance plurielle et indépendante.
Il aurait également été plus judicieux de proposer un accompagnement à l’innovation et à la diversification des revenus, ou encore des incitations fiscales pour les médias numériques émergents. L’adaptation des modèles économiques au numérique est un enjeu majeur.
Autre point de discorde : la recommandation visant à “accroître les efforts de pédagogie pour lever les malentendus autour du rôle de la HAC”. Une telle recommandation n’a pas de sens, car ces malentendus sont en réalité entretenus par l’attitude même de l’institution.
La loi L/2020/0010/AN du 3 juillet 2020 est pourtant claire. En son article 2, elle stipule que la HAC est un organe de défense du droit des citoyens à l’information, et non un instrument de répression ou de contrôle gouvernemental. Elle a un rôle de soutien et de médiation, en vue d’éviter tout abus de pouvoir sur les médias.
C’est parce que la HAC s’est progressivement éloignée de cette mission qu’il y a flou et défiance autour de son rôle. Et ce point aurait dû être au cœur des débats. Car aujourd’hui, la HAC fait partie du problème.
Si nous voulons sérieusement le renouveau de la presse guinéenne, il faudra poser les bonnes questions, avec courage : comment garantir l’indépendance et la responsabilité des médias ? Comment mettre fin à la censure et à l’autocensure ? Quel rôle pour la HAC, les associations de presse, et les institutions ? Et surtout, quel modèle économique et juridique pour faire vivre une presse libre, pluraliste et viable ?
En l’état, ce premier Forum est une opportunité manquée. Mais il ne tient qu’à nous de transformer cette déception en moteur de réflexion. Une presse indépendante, responsable et durable ne se décrète pas, elle se construit avec du courage, des réformes, des choix clairs et une volonté politique assumée.
Facely Konaté
Journaliste | Spécialiste en management des médias | Défenseur de la liberté de la presse